Note sur la non-mixité du Centre des Femmes de l’UQAM
Par Anaïs Bertrand-Dansereau et Tanya Déry-Obin
Le Centre des Femmes de l’UQAM (CDF) est un groupe non-mixte, c’est-à-dire que seules les femmes peuvent siéger à l’exécutif, assister aux réunions régulières ainsi qu’effectuer des permanences. Par contre, les hommes sont les bienvenus s’ils désirent contribuer à la réalisation d’activités par des tâches d’exécution.
La non-mixité est un concept intrinsèquement lié au mouvement des femmes, depuis ses débuts au 19e siècle. En expérimentant avec la prise de parole et la gestion de groupes organisés, certains groupes préférèrent des assemblées composées uniquement de femmes. Ainsi, elles ne s’en remettaient pas au traditionnel leadership masculin et se sentaient plus à l’aise de prendre la parole. Ces raisons demeurent toujours valables aujourd’hui.
L’oppression exercée par les hommes sur les femmes ne découle pas de volontés individuelles; il ne s’agit pas de dire que chaque homme se lève le matin avec le désir d’opprimer sa conjointe, sa collègue de travail, sa mère ou sa sœur. La source de la domination systématique des femmes par les hommes se trouve dans le patriarcat, le système sociétal d’oppression dans lequel tous les êtres humains sont socialisés. Ce système apprend aux hommes des rôles de domination multiforme, de compétition, de rationalité, de détachement émotif, etc. Aux femmes, on inculque des rôles de soumission, de dépendance et d’émotivité, tel que le note Simone de Beauvoir :
Et en vérité il suffit de se promener les yeux ouverts pour constater que l’humanité se partage en deux catégories d’individus dont les vêtements, le visage, le corps, les sourires, la démarche, les intérêts, les occupations sont manifestement différents : peut-être ces différences sont-elles superficielles, peut-être sont-elles destinées à destinées à disparaître. Ce qui est certain c’est que pour l’instant elles existent avec une éclatante évidence. [i]
Si nous considérons que les hommes et les femmes ont des capacités, des ressources et des talents totalement égaux, nous sommes également conscientes que le système qui nous a tous et toutes socialisé(e)s a créé deux catégories d’individus. Les hommes et les femmes, dans la perspective féministe radicale, doivent être compris avant tout comme des classes sociales, et non pas comme des individus en interaction dans un contexte particulier. De ces classes, l’une est opprimée par l’autre de manière systémique; sa dignité en tant qu’être humain est bafouée par de multiples façons, subtiles ou graves, telle que de la violence physique, psychologique, symbolique, sexuelle et légale, la valeur de son travail, de ses qualités et ressources est ignorée. Nous sommes conscientes que l’administration des Services à la vie étudiante n’est pas nécessairement d’accord avec cette prémisse théorique. Toutefois, cette prémisse est à la base de l’analyse féministe et des actions du mouvement des femmes depuis plusieurs décennies, appuyée par une production scientifique considérable. La sociologue Christine Delphy, une des premières à définir le patriarcat, donne ainsi comme base à son travail :
Avec la deuxième vague du mouvement féministe du 20e siècle [je l’] appelle l’oppression des femmes et la question du patriarcat. L’oppression étant la situation des gens opprimés, les femmes étant le nom que l’on donne à ces opprimés-là, et le patriarcat étant le système socio-politique qui organise tout cela. [ii]
Quant à Colette Guillaumin, elle insiste sur deux facettes de l’oppression des femmes par les hommes, un effet idéologique qui vise à légitimer l’effet matériel, qui est le rapport de pouvoir entre les sexes, et donc une appropriation de l’autre :
Dans la première partie, l’appropriation des femmes, on verra l’appropriation concrète, la réduction des femmes à l’état d’objet matériel. Dans une seconde partie, le discours de la Nature, on verra la forme idéologique que prend ce rapport, c’est-à-dire l’affirmation que les femmes sont «plus naturelles» que les hommes. [iii]
Puisque la théorie féministe esquissée ici guide nos actions et notre réflexion, qu’elle est documentée et mise en pratique depuis plus d’un siècle, nous vous demandons de la considérer sérieusement. C’est effectivement elle qui nous pousse à nous impliquer afin de faire avancer la condition de toutes les femmes.
L’une des conséquences frappante du patriarcat est que ce sont majoritairement les hommes qui occupent les positions de leadership et de pouvoir dans toutes les sphères de la vie publique. Même dans un OBLN de dimension modeste comme le CDF-UQÀM, siéger à l’exécutif comprend certains pouvoirs et un certain prestige, qui se reconnaît à l’importance qui est accordée à l’implication communautaire lors de l’application pour un emploi ou une bourse d’excellence. Si ce ne sont pas de bonnes raisons pour poser sa candidature à un poste d’exécutif d’un OBLN, il reste tout de même qu’il s’agit d’une reconnaissance qui n’est pas souvent accordé au travail des femmes et il est inutile de nier sa valeur. Une recherche au sujet de la participation politique chez les jeunes femmes au niveau partisan et communautaire conclue :
À une époque où les jeunes femmes ont pris leur place sur les bancs d’école et s’investissent de plus en plus dans des emplois traditionnellement masculins, il leur reste tout de même du chemin à faire pour prendre leur place dans les lieux de pouvoir. En effet, au regard du nombre elles sont souvent minoritaires dans les groupes mixtes et leurs propos démontrent aussi cette hésitation des femmes à «prendre le micro» pour faire passer leurs idées. [iv]
Le CDF a comme objectif de contrer cette tendance et de permettre aux étudiantes de développer leur propre leadership, d’accroître leur confiance en elles et de leur donner les outils nécessaires pour prendre la parole lorsqu’elles auront à le faire en groupe mixte. Il est également certain que la socialisation dont il a été question plus haut a un impact direct en vie de groupe. Dans son étude Influence du statut et du genre sur l’utilisation des interruptions verbales : importance du contexte d’interaction, Nadine Murard remarque :
Or, les hommes et les femmes diffèrent en ce qui concerne de nombreux comportements verbaux et non-verbaux (Hall, 1984) et l’utilisation des comportements de dominance est prépondérante chez les hommes. De plus, les personnes dominantes utilisent des comportements différents des personnes non-dominantes […] les femmes ont tendance à poser des questions, acquiescer, encourager le discours de l’interlocuteur, alors que les hommes effectuent en général des interventions longues et dérobent le tour de parole de l’interlocutrice – comportements plus dominants. [v]
Le CDF-UQÀM ne pourrait plus répondre à son objectif dans un contexte mixte où les étudiantes seraient constamment sous l’oppression et les habitudes de pouvoir de leurs collègues masculins. La non-mixité permet des discussions plus libres où plus de femmes prennent la parole. Lorsqu’un homme se trouve dans la pièce, les femmes présentes ont systématiquement tendance à moins s’exprimer et à éviter certains sujets. Le CDF-UQÀM se veut un lieu de développement du leadership des étudiantes, au sein duquel elles apprennent à prendre la parole, à participer à la vie d’un groupe et à réaliser des activités de sensibilisation. Le fait d’être dans un groupe non-mixte contribue grandement à cet objectif. Il existe bien des relations de pouvoir d’autres ordres que par rapport au sexe (d’âge, de race, de classe, etc.) mais la domination sexiste est évacuée, et il devient plus aisé de travailler à l’idéal féministe de non-hiérarchie.
Toutes ces considérations théoriques et pratiques sont comprises par certains hommes, qui, tout en faisant partie de la classe des oppresseurs, agissent en conséquence de cette idée et ne cherchent pas à assumer le leadership de groupes qui se dédient à défendre la cause des femmes. C’est pourquoi des hommes nous aident de manière bénévole, des amis et des conjoints, des relations personnelles des membresses qui sont heureux de donner un coup de main sans chercher à être membre, même lorsqu’ils sont étudiants à l’UQÀM. Nous n’avons donc à soutenir notre non-mixité uniquement sur papier puisque depuis l’automne 2003, lorsque les membresses actuelles les plus anciennes se sont jointes au CDF-UQÀM, nous n’avons jamais eu à considérer la demande d’un homme souhaitant sincèrement se joindre au CDF. Les hommes qui en font la demande le font généralement dans une tentative de séduction, de provoquer une conversation ou par esprit de confrontation.
Finalement, et ce qui semble le plus important à nos yeux, est le fait que le CDF-UQÀM est un lieu de référence ouvert à toutes les femmes en situation de problème. Si certains problèmes ne sont pas liés à la domination masculine, la plupart le sont : agression par des étrangers, violence conjugale, agressions sexuelles par des professeurs, inquiétudes par rapport à la sexualité, à la grossesse ou aux alternatives menstruelles, exploitation sexuelle par un employeur, etc. Il est absolument inacceptable qu’une femme victime de violence masculine, qui a le courage de sortir de sa situation en s’adressant au Centre des Femmes, se trouve nez à nez avec un homme. La présence d’hommes lors des permanences et des réunions est par conséquent impossible si nous voulons remplir notre mission de support à toutes les femmes de l’UQÀM. Cette réalité, au-delà de toute considération idéologique, exige que le Centre des Femmes de l’UQÀM demeure non-mixte.
Références